Les aides d’Etat

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La pandémie Covid-19 a réveillé le débat européen sur les aides d’Etat, c’est-à-dire les subventions publiques aux entreprises. Elles sont par principe, et sauf exception, interdites par le droit européen, car jugées contraires au principe de libre concurrence du marché unique. La France, Etat membre de l’UE, doit se conformer à la législation européenne, mais de quelle marge de manœuvre la France dispose-t-elle pour octroyer ces aides d’Etat dans le domaine de RDI ?

Concernant les aides d’Etat, la question de la compétence se pose. En vertu du primaire européen, les Etats membres disposent d’une marge de manœuvre réduite pour en octroyer aux entreprises. Par principe elles sont interdites. Cependant, il existe des exceptions et des exemptions en la matière. Le Règlement général d’exemptions par catégorie en est un exemple. Le sujet des aides d’Etat, touchant à la souveraineté économique des pays, est sensible. La Commission légifère en conséquence : elle utilise des actes de soft law. Il transparaît une volonté de compréhension de l’exécutif européen. Face aux crises qu’a connues l’UE ces dernières années, la Commission a progressivement élargi la possibilité pour les Etats membres d’octroyer des aides aux entreprises. Grâce à cette extension des possibilités, combinée aux consultations régulières pour mettre à jour les textes de la Commission, les Etats membres ainsi que les opérateurs économiques ont la capacité de faire entendre leurs voix sur ce chapitre.   

La France dispose d’une fenêtre réduite pour octroyer des aides d’Etat 

Les aides d’Etat : qu’en disent les textes ? 

Selon l’article 3 TFUE, La Commission européenne dispose d’une compétence exclusive en matière d’établissement de règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur. Elle a pour mission d’empêcher les ententes, les abus de positions dominantes, les monopoles, les concentrations et les aides d’Etat.  

En vertu de l’article 2, paragraphe 1, TFUE, dans un domaine de compétence exclusif, seule l’Union peut légiférer et adopter des actes juridiques contraignants. En revanche, selon le même fondement, qu’une compétence soit exclusive ne signifie pas que l’Etat membre n’est plus en droit d’agir juridiquement dans le domaine en cause. L’Etat membre agit donc en tant « qu’agent de l’Union » sur habilitation du droit de l’Union ou pour l’exécuter.  

La notion d’aide d’Etat est définie à l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) : « Sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre pays de l’Union européenne (UE), les aides accordées par un pays de l’UE, ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. ». Les aides d’Etat sont ainsi régies par le droit de l’UE sous l’égide du marché unique. Afin d’empêcher les subventions publiques de fausser la concurrence dans le marché intérieur et d’affecter les échanges entre États membres, le TFUE dispose du principe d’interdiction des aides d’État. 

Selon la Communication de la Commission relative à la notion d’ « aide d’État », les quatre critères suivants doivent être réunis pour qualifier une aide d’État : 

  • L’aide est accordée par l’État ou au moyen de ressources d’État ; 
  • Elle favorise une ou plusieurs entreprises par l’octroi d’un avantage sélectif ; 
  • Elle fausse ou est susceptible de fausser la concurrence ; 
  • Elle affecte les échanges entre les pays de l’UE. 

Les aides d’Etat sont régies par le TFUE. La Commission européenne doit statuer sur la compatibilité des aides d’Etat avec le marché intérieur avant que celles-ci ne soient versées. Les Etats membres ne peuvent accorder d’aides non autorisées par la Commission. Par conséquent, une aide accordée sans autorisation sera presque automatiquement considérée comme illégale.  

Pour autoriser les aides d’Etat, la Commission doit en être informée au préalable, avec un délai suffisamment long pour lui permettre d’émettre ses observations. La DG Concurrence gère le système de notification et d’autorisation de ces aides. Elle dispose de deux mois pour statuer. A défaut, les aides sont acceptées. L’aide, ainsi que toute mesure relative à l’aide, ne pourra être mise en place qu’après ce délai de deux mois suivant la notification : c’est que l’on nomme l’obligation de suspension.  

Après une première lecture du droit primaire et dérive de l’Union européenne, il apparaît que les Etats membres – et donc la France – sont intimement entravés par les actes juridiques européens en matière d’aides d’Etat.

Il existe deux exceptions à ce principe d’interdiction des aides d’Etat : lorsque la somme en question est modeste et lorsqu’elle est couverte par le règlement général d’exemption par catégorie. 

Les exceptions et les exemptions : le RGEC 

Le règlement de minimis concerne toutes les catégories d’entreprises, quelle que soit leur taille. Il autorise les aides d’Etat dont le montant est inférieur à 200.000 euros par entreprise consolidée sur une période de trois exercices fiscaux. Certaines aides d’Etat, réputées compatibles à la législation européenne, sont exemptées de notification à la Commission. En vertu de l’article 109 du TFUE, le Conseil de l’Union européenne (ci-après « Conseil ») peut déterminer les catégories d’aides qui sont dispensées de cette obligation de notification. Les Etats membres gardent ainsi, à travers le Conseil, composé des ministres nationaux en fonction des domaines politiques traités, un pouvoir de décision concernant les aides d’Etat.  

Conformément à l’article 108, paragraphe 4, TFUE, la Commission peut adopter des règlements concernant ces catégories d’aides d’État. Elles sont listées dans le règlement général d’exemption par catégorie (RGEC), adopté en 2014, qui déclare certaines catégories ou types d’aides publiques compatibles avec le marché intérieur et le droit de l’Union. Le RGEC a pour objet de permettre aux gouvernements de l’Union européenne (UE) d’attribuer des financements publics plus importants à un plus large éventail d’entreprises. Selon la synthèse de la Communication, « l’exemption est conçue pour réduire la charge administrative pesant sur les autorités nationales et locales et pour encourager les gouvernements de l’UE à canaliser l’aide vers la croissance économique sans donner aux bénéficiaires un avantage concurrentiel injuste ». Les Etats membres ne sont pas tenus de notifier la Commission en vue d’obtenir son approbation si leurs mesures d’aide d’État répondent aux dispositions du RGEC. Dans ces cas-là, l’Etat membre est simplement tenu d’informer la Commission européenne de l’octroi, dans un délai de 20 jours, sans obligation de notification préalable ni suspension de versement. L’Etat membre, dans cette procédure accélérée, transmet des fiches de renseignements qui sont alors publiées au Journal officiel.  

Le règlement concerne les catégories suivantes : 

  • Les aides à finalité régionale ; 
  • Les aides aux petites et moyennes entreprises (PME) ; 
  • Les aides pour un accès des PME au financement ; 
  • Les aides à la recherche, au développement et à l’innovation (RDI); 
  • Les aides à la formation ; 
  • Les aides aux travailleurs défavorisés et aux travailleurs handicapés ; 
  • Les aides pour la protection de l’environnement ; 
  • Les aides pour réparer les dommages résultant de certains désastres naturels ; 
  • Les aides sociales pour le transport des résidents de régions éloignées ; 
  • Les aides pour les infrastructures à large bande ; 
  • Les aides pour la culture et la conservation du patrimoine ; 
  • Les aides pour les infrastructures sportives et récréatives multifonctionnelles ; 
  • Les aides pour les infrastructures locales. 

Le champ d’application du RGEC est étendu en 2017, pour inclure les aides aux infrastructures portuaires et aéroportuaires. Le RGEC est applicable jusqu’à fin 2022. Sa durée d’applicabilité a été étendue suite à la crise du coronavirus. A chaque modification, le champ d’application du RGEC est étendu, afin de laisser plus de possibilités aux Etats membres et d’alléger les démarches administratives. Les Etats membres obtiennent plus de responsabilités en la matière. 

L’équilibre de la scène européenne repose sur l’harmonisation de la souveraineté des Etats membres et leur capacité à abandonner cette dernière au profit de l’Union. Ce rapport de force constant explique pourquoi certains secteurs spécifiques avec un fort potentiel économique bénéficient d’exceptions dans un domaine pourtant chasse gardée de l’Union.

 Retrouvez ci-après la synthèse des législations européennes applicables en matière d’aides d’Etat : ici

Les possibilités concernant les aides d’Etat à la RDI 

Les Etats membres peuvent ainsi octroyer des aides à la RDI sans notification préalable à la Commission, si les critères définis par le RGEC sont respectés. Les Etats membres disposent ainsi d’une plus grande latitude et d’une plus grande capacité de mise en œuvre des aides à la RDI. Par exemple, les Etats membres peuvent accorder des aides au développement expérimental jusqu’à 15 millions d’euros par projet et par bénéficiaire sans autorisation préalable de la Commission, alors que les règles précédant le RGEC établissaient un montant de 7,5 millions d’euros. Les projets pilotes et les prototypes, ainsi que les pôles d’innovation sont également exemptés du principe d’interdiction des aides d’Etat.  

Dans le RGEC, les aides à la RDI sont divisées en plusieurs catégories : 

  • Les aides aux projets de R&D ; 
  • Les aides à l’investissement en faveur des infrastructures de recherche ; 
  • Les aides en faveur des pôles d’innovation ; 
  • Les aides à l’innovation en faveur des PME ; 
  • Les aides en faveur de l’innovation de procédé et d’organisation ; 
  • Les aides à la recherche et au développement dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture. 

Les aides à la recherche, au développement et à l’innovation (RDI) sont donc couvertes par le règlement général d’exemption par catégorie (RGEC) de 2014. Elles sont aussi encadrées par l’Encadrement des aides d’Etat à la RDI, également entré en vigueur en 2014. Le recours à l’encadrement, donc à une notification préalable des projets d’aides à la Commission, s’impose en cas de dépassement des seuils prévus par le RGEC (section 4). Si le montant de l’aide d’Etat est inférieur à ces seuils, elle est exempte de notification.  

Sont concernées par cet Encadrement :  

  • Les aides en faveur de projets de R&D ; 
  • Les aides en faveur d’études de faisabilité liées à des projets de R&D (destinées à remédier à une défaillance du marché) ; 
  • Les aides en faveur de la construction et de la modernisation d’infrastructures de recherche ; 
  • Les aides en faveur des activités d’innovation ; 
  • Les aides en faveur des pôles d’innovation.  

L’objectif de cet encadrement est de permettre aux Etats membres d’octroyer des aides à la RDI, qui soient supérieures à celles prévues par le RGEC, tout en restant en accord avec la politique européenne. Ces possibilités d’aides d’Etat favorisent la compétitivité européenne en matière de recherche, de développement et d’innovation.  

La recherche au développement et à l’innovation est donc une niche au sein d’une législation européenne apparaissant extrêmement contraignante. Elle bénéficie d’une double exception permettant aux Etats membre une mise en œuvre plus souple, adaptée à leur réalité de marché.

…mais l’UE laisse une large de manœuvre aux Etats membres 

L’utilisation de la soft law dans la politique de la concurrence 

L’UE utilise régulièrement des outils de soft law pour la politique de la concurrence. Les règles fondamentales du droit sont appliquées dans des conditions précisées généralement par des règlements, instrument normatif d’uniformisation des droits nationaux de l’Union le plus stricte puisque général et impersonnel, obligatoire et d’application directe (article 288, paragraphe 2, TFUE). Mais la mise en œuvre implique une appréciation économique au cas par cas. Pour garantir une sécurité juridique aux opérateurs économiques et aux Etats Membres, la Commission recours à des « encadrements », des « lignes directrices », des « recommandations » ou même des « communications ». Ces textes viennent compléter les articles du TFUE en la matière, ainsi que les règlements de la Commission. Appelés « actes atypiques », ils ne sont pas prévus par les traités : « lorsque les traités ne prévoient pas le type d’acte à adopter, les institutions choisissent, au cas par cas, dans le respect des procédures applicables et du principe de proportionnalité » (article 296, alinéa 1, TFUE). Un acte atypique, bien que non contraignant, peut produire des effets de droit.  

Politiquement, les aides d’Etat constituent un sujet sensible pour les Etats membres car il touche à la souveraineté économique des Etats. La politique européenne de la concurrence a besoin d’évoluer et de se moderniser au fil du temps. Ainsi, à la place de multiplier les règlements, de légiférer par directives ou de réviser les traités, mais aussi pour gagner en efficacité, la Commission européenne s’est tournée vers ces outils de soft law. A travers cette manière d’encadrer les aides d’Etat transparaît une volonté de la Commission de laisser plus de marge de manœuvre aux Etats membres pour l’octroi de subventions publiques.  

Ainsi, même si les aides d’Etat relèvent d’une compétence exclusive de l’Union, cette dernière n’adopte pas un comportement autoritaire dans la matière. En adoptant des actes atypiques de soft law elle laisse aux Etats membres une plus grande capacité d’adaptation.

Il convient tout de même de noter qu’en matière d’aides d’Etat, selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, les lignes directrices adoptées par les Commission lient également les Etats Membres qui les ont acceptées (CJCE 24 mars 1993, CIRF e.a. c/ Commission, aff. C-313/90 ; CJCE 15 oct. 1996, Ijseel-Vlitet Combinatie BV, aff. C-311/94). 

Les projets importants d’intérêt européen commun 

Nous avons précédemment cité plusieurs communications de la Commission (celle relative à la notion d’ « aide d’Etat » ou encore celle sur l’Encadrement des aides d’Etat à la RDI). Elle a également utilisé cet outil juridique pour les PIIEC (Projets importants d’intérêt européen commun) ou IPCEI (Important projects of Common European Interest). Ces derniers autorisent les pouvoirs publics des Etats membres de l’UE à financer des projets dont les thématiques sont jugées prioritaires, au-delà des limites en matière d’aides d’Etat fixées par la Commission européenne. Selon la Communication de la Commission de 2014, les IPCEI sont « des projets qui pallient les graves défaillances systémiques ou du marché et qui relèvent des défis sociétaux importants, qu’il serait impossible de surmonter sans ces projets ». Ils doivent associer plus d’un Etat membre de l’UE et doit profiter à la société ou à l’économie dans son ensemble, avec des retombées positives clairement identifiables. Les IPCEI sont des projets de taille ou d’ampleur très importante.   

Depuis 2014, la Communication IPCEI a été appliquée à plusieurs reprises. Fin 2018, un IPCEI sur la microélectronique a été lancé. En ce qui concerne le domaine des transports, un IPCEI batteries, « European Batteries Innovation » a été approuvé par l’UE en janvier 2021 (après un premier en décembre 2019). La Commission a accepté pour l’IPCEI Batteries de 2019 une aide publique de 3,2 milliards d’euros, puis une autre de 2,9 milliards pour celui de janvier 2021. Un IPCEI concernant l’hydrogène a également été lancé en décembre 2020. Dans ce cadre, la France réservera une dotation financière de 1,5 milliard d’euros afin de soutenir l’intégration de la chaîne de valeur au niveau européen.  Cependant, le calendrier et la portée de ce PIIEC sur l’hydrogène n’ont pas encore été communiqués. Aujourd’hui, 22 Etats membres et la Norvège souhaitent participer à ce projet. Ce dernier devrait être mis en œuvre au début de l’année 2022 après une sélection fin 2021.  

Les IPCEI sont une autre manière pour les Etats membres de financer des projets de recherche, de développement et d’innovation au-delà des seuils prévus par la politique de concurrence européenne. Ils relèvent de négociations bilatérales entre les Etats membres et la Commission européenne.

Vers un élargissement des possibilités pour les Etats membres 

Visuel Europe

Les Etats membres, à travers des consultations, ont la possibilité de faire entendre leurs voix concernant les aides d’Etat. La Commission européenne a récemment lancé une consultation pour réviser la Communication sur l’Encadrement des aides d’Etat à la recherche, au développement et à l’innovation. L’objectif serait de l’ajuster aux priorités stratégiques actuelles de l’UE, ainsi qu’au Green Deal. L’exécutif européen a identifié trois axes principaux à cette révision :  

  • L’amélioration et la mise à jour des définitions existantes des activités de recherche et d’innovation entrant dans le champ d’application de l’encadrement RDI (en particulier afin de clarifier leur applicabilité en ce qui concerne les technologies numériques et les activités liées à la numérisation ;  
  • L’introduction de nouvelles dispositions pour permettre un soutien public aux infrastructures technologiques afin d’accélérer le développement de technologies innovantes, notamment par les petites et moyennes entreprises (PME), et de faciliter les transitions écologique et numérique de l’économie européenne ;  
  • La simplification de certaines règles, par exemple en introduisant une méthodologie simplifiée de calcul des coûts indirects pour déterminer les coûts éligibles, afin de faciliter l’application pratique du cadre RDI, où l’évaluation a identifié une éventuelle charge administrative excessive pour les entreprises et les autorités de gestion. 

La révision de cette Communication prévoit également un élargissement des critères d’éligibilité pour l’obtention d’aides d’Etat. Ainsi, le spectre d’acteurs pouvant être financés au-delà des seuils prévus par le RGEC s’élargit. La politique de concurrence européenne et des aides d’Etat a tendance a évolué. Les modifications du RGEC, les nouvelles communications de la Commission et les révisions des anciennes tendent à élargir les possibilités pour les Etats membres de subventionner les entreprises de leur territoire national. La crise dû à la pandémie de coronavirus a accentué cette tendance.  

Ainsi, parce que l’Union a fait le choix de privilégier des actes atypiques de soft law tel que la Communication pour légiférer en matière d’aides d’Etats, et parce que ces actes sont obligatoirement soumis à consultation publique., Les Etats membres et opérateurs économiques nationaux ont la possibilité de participer et d’influencer le processus d’adoption législatif européen.

L’interpole French Automotive and Mobility participe activement à ce processus en répondant aux régulières consultations publiques de l’Union. Il est engagé dans la réponse concernant la Communication relative aux aides d’Etat RDI.